Entre une discussion avec Dieu ou l’accueil de l’étranger, la discussion avec l’étranger, juif ou non-juif, est prioritaire. Cela peut paraître étonnant. Et pourtant, nous allons vous le prouver ci-après.
Passage du livre Genèse, chapitre 18, verse 1 à 22 : la piété d’Abraham.
(Commentaire réaménagé pour le net, du Grand Rabbin Alain Goldmann).
1- Accueil de l’étranger dans le pentateuque.
Abraham avait accepté la douloureuse épreuve de sa circoncision, comme signe de l’alliance avec Dieu, pour lui et tous ses descendants. C’était la sixième parmi les dix épreuves qu’il eut à surmonter. Malgré les souffrances que cela lui causa, alors qu’il était presque centenaire, Abraham voulait sans cesse mettre en pratique la vertu de la bonté, de l’amour qu’il voulait témoigner aux créatures, quelles qu’elles soient, et notamment à travers l’accueil de l’étranger. Mais alors qu’il est assis à l’entrée de sa tente, se chauffant au soleil pour faciliter sa guérison, il est attristé de ne voir ce jour-là aucun passant qu’il puisse inviter chez lui. Il voulait absolument pratiquer l’hospitalité, l’accueil de l’étranger.
Pour adoucir sa peine, Dieu lui envoie trois visiteurs. Le grand commentateur juif du moyen âge, « Rachi» précise qu’il s’agit d’anges, déguisés en êtres humains.
tableau de Marc Chagall représentant les 3 anges chez Abraham
Abraham veut donc absolument les faire rentrer chez lui. N’écoutant que son cœur et bien que convalescent, il court à leur rencontre. Il interrompt même un dialogue qu’il avait à ce moment avec Dieu.
Abraham prie les passants d’entrer chez lui pour se restaurer et se reposer de leur route. (Genèse 18, 4).
2- Sois généreux et humble : l’accueil de l’étranger est une valeur essentielle.
On imagine ce que cela pouvait représenter d’être dans la fournaise d’un désert d’Asie Mineure. Non content de les accueillir, Abraham va lui-même préparer un repas. Au départ, il informe ses hôtes que ce repas sera frugal, mais en fin de compte, c’est un véritable festin qu’il leur offre. Il met ainsi en pratique, un principe enseigné par nos sages :
« Parle peu et fais beaucoup » (Maxime des Pères – chapitre 1, 15).
Ce que vient illustrer ce passage biblique, c’est la notion de l’accueil de l’étranger. Nous vivons dans une société où les relations humaines sont de plus en plus tendues, fragiles, où domine l’individualisme et l’égoïsme. Cette pratique de l’hospitalité fut longtemps l’apanage de nos communautés juives. Les familles se disputaient toujours les hôtes de passage, que l’on trouvait généralement dans les lieux de prières, le vendredi soir. En mettant cette qualité humaine de l’hospitalité aux étrangers en pratique, on ne faisait que s’inspirer du patriarche Abraham.
Les rabbins du Talmud mettent souvent l’accent sur cette qualité d’humanité dont faisait constamment preuve le père des croyants. Nos maîtres en déduisent que nos relations avec nos semblables doivent être mises sur le même plan que nos relations avec Dieu, voire même avant.
Avec l’accueil de l’étranger, Abraham témoignait de qualités humaines qui pour lui étaient fondamentales. Il voulait en même temps enseigner à ses contemporains tous païens, lorsqu’ils le remerciaient de ce qu’il faisait pour eux, que ce qu’il faisait ou donnait, ne lui appartenait pas. Abraham enseignait que ce qu’il avait n’était en fait que la totale propriété de Dieu, père de tous les hommes. Il cherchait ainsi à développer l’idée du monothéisme. Abraham a ramené beaucoup d’hommes à cette croyance dont se réclament aujourd’hui des millions d’êtres humains, de différentes confessions religieuses.
3- De nos jours, on devrait de même pratiquer l’accueil de l’étranger favorablement.
Illustrons la manière par laquelle il convient de recevoir ses invités en leur témoignant une grande attention. On raconte que le célèbre Rabbi Israël Méir Hacohen (de surnom ’Hafetz ’Hayim zal), l’un de nos grands maîtres du siècle dernier, aimait toujours accueillir des gens de passage.
Le vendredi soir, se mettant à table dès qu’il revenait de la prière, il tenait absolument à ne pas faire attendre ses invités. Il souhaitait immédiatement réciter la bénédiction du vin (Kiddouch, en hébreu) sans chanter au préalable des chansons traditionnelles. Quand on lui demandait pour quelle raison il était si pressé de se mettre à table, il répondait : « les anges qui nous accompagnent tout au long de la journée du Shabbat peuvent attendre. Ils n’ont pas faim, tandis que mes invités humains sont prioritaires, et je me dois de les contenter le plus vite possible. »
Pour éclairer notre propos, terminons par cette citation du livre de JOB, chapitre 31 , verset 32 disant :
« Jamais l’étranger n’a passé la nuit dans la rue, j’ouvrais ma porte au voyageur. »
La misère domine actuellement dans le monde, alors qu’il y a encore tant de richesses à partager. Je crois que l’enseignement que donne l’exemple d’Abraham et que souligne cette dernière citation biblique, mérite que nous fassions taire nos égoïsmes et nos rivalités. Il faut donner plus de place aux élans de notre cœur, et favoriser ainsi un univers plus chaleureux et humain (fin de l’article d’ Alain Goldmann Grand Rabbin).
4- L’accueil de l’étranger doit se faire par des paroles aimables, sans offense ou indifférence.
(Exode 22, 20 ; dans section biblique « michpatim ») « Tu n’offenseras pas l’étranger et tu ne l’opprimeras pas, vous avez été étrangers en Égypte ».
Rachi commente : « Il s’agit d’offenser avec des paroles ; « contrarier » écrit Rachi en vieux français de son époque (onzième siècle). Comme le fait remarquer par ailleurs le prophète Isaïe (49.26) s’adressant aux étrangers, au nom de Dieu: « je nourrirai ceux qui vous offensent de leur propre chair ». Et tu ne l’opprimeras pas en lui volant son argent. Car vous avez été étrangers. Si tu l’offenses, lui aussi peut t’offenser en te disant : toi aussi tu es issu d’étrangers ; or comme il est dit « une tare qui es en toi n’en accuses pas ton prochain » (Talmud, traité Baba Metsia, page 59, b).
C’est pour pouvoir écrire ces paroles que le peuple hébreu a été exilé en Égypte. Pour ne pas s’habituer à une possession terrestre éternelle qui a été créée par Dieu, et qui n’est pas à la base la propriété des hommes.
Mais le pentateuque a été beaucoup plus explicite encore : (Nombres 10:17) Car l’Éternel, votre Dieu, est le Dieu des Dieux, le Roi des rois, le Dieu grand, fort et redoutable, qui ne fait point acception des personnes et qui ne reçoit point de présent, 10:18 qui fait droit à l’orphelin et à la veuve, qui aime l’étranger et lui donne de la nourriture et des vêtements. 10:19 Vous aimerez l’étranger, car vous avez été étrangers dans le pays d’Égypte.
5- Même l’accueil de l’étranger doit obéir aux règles de préséance.
«… Entre Tes pauvres (c’est-à-dire, ceux de ta famille) et les pauvres de ta ville, tes pauvres ont la préséance. Entre les pauvres de ta ville et les pauvres d’une autre ville, les pauvres de ta ville ont la priorité »…
(Talmud de Babylone, traité Sanhédrin, page 71, folio 1).
(Commentaire du Rabbin Mickaël Azoulay). « Être investi d’une mission au service de son peuple ne dispense pas de se soucier d’abord de sa propre réussite familiale. Il faut penser d’abord à ses proches, aux devoirs que l’on a vis à vis d’eux. D’où l’apprend on ? Moïse était empressé de porter secours à ses frères et sœurs hébreux sous l’esclavage Égyptien. Il aurait ainsi oublié le sens des priorités et de circoncire d’abord son fils Eliézer. Cela est relaté dans l’un des passages les plus énigmatiques du Pentateuque (en Exode 4, 24-26). Il relate la conséquence de menace de Dieu à la vie de Moïse, immédiatement après que Dieu lui ait rappelé sa mission en Égypte d’aller auprès de Pharaon. Pour lui demander de laisser partir le peuple Hébreu. C’est l’illustration de « Charité bien ordonnée commence par soi-même ».